Durant cinq ans depuis fin 2016, le slameur suisse Narcisse a publié une fois par semaine une chronique en slam sur la chaîne culturelle de la Radio Télévision Suisse. Il s’agissait de jeter un regard à la fois poétique, satirique et décalé sur l’actualité, le tout dans une formule très épurée : fond noir, vêtements sombres, cadrage serré : tout tenait dans les mots, et dans la voix où jamais un mot ne dépassait l’autre. La réalisation de ces capsules – qui ne ressemblent à rien de connu – était artisanale, Narcisse se filmait lui-même avec un petit appareil photo, quelques vers de face (il fallait les apprendre par cœur), quelques vers de profil (ceux-là, il pouvait les lire sur un pupitre hors champ), puis il faisait le montage. Mais on voit qu’au cours du temps, il a appris à placer ses lampes et à régler son appareil. Le caméramans de la télévision se mordaient les doigts : « théoriquement, tu fais tout faux, mais étonnamment, ça fonctionne ». Et puis, la dernière année, un graphiste a illustré certaines des chroniques avec de beaux petits dessins. Il y a eu parfois aussi un peu de musique.

Ces vidéos ont fait grincer des dents. Proche de Marine le Pen, le politicien suisse Oskar Freysinger a voulu intenter un procès contre l’une d’elles. Il a été débouté au nom du droit à la satire. Quelques mois plus tard, et contre toute attente, il n’a pas été réélu. Hasard ? Narcisse se plaît à penser qu’il a peut-être influencé un peu les urnes. Ce qui est certain, c’est que la chronique « ils soignent », en hommage au personnel hospitalier durant le Covid, a fait le tour du monde. Elle a été reprise dans une dizaine de recueils de poésie, gravée sur un ballon de foot vendu pour soutenir les hôpitaux de Paris, diffusée dans les écrans muraux de plusieurs hôpitaux en France et ailleurs.

Indirectement, elle est aussi le déclencheur d’un changement de point de vue de Narcisse pour son nouveau spectacle : il s’est rendu compte qu’il changerait mieux le monde en mettant le doigt sur ce dont l’humanité est capable plutôt qu’en dénonçant ses travers. Le spectacle s’appelle HUMAINS.